w/ @esma el misri
tw : mort, deuil , alcool
Le temps avait accompagné les funérailles dans son humeur. Glacial, venteux et un crachin désagréable, qui s’infiltre sous les vêtements. Erin n’avait pas pleuré. C’était comme cette bruine, elle se sentait évaporée, un nuage se désagrégeant. La douleur invisible n’en était pas moins violente. Le poids dans sa poitrine s’alourdissait à mesure que le cercueil disparaissait dans la terre. Peut être que c’était la violence de la peine, mais elle ne parvenait pas à discerner la tristesse de la colère. C’était comme si l’exubérance de l’émotion la rendait indifférente. A côté d’elle, les pleurs de Sue sont tonitruants. Des airs d’exagération qu’Erin décèle. Dans son cœur, elle a l’impression que son père est mort à cause de cette femme aux larmes bien trop grosses et aux soubresauts de peine démesurés.  Le défilé de condoléances, les chants et les derniers souvenirs partagés s’enchaînèrent à une lenteur renversante. Pourtant, elle sourit. De ce rictus poli qu’elle avait pratiqué chez Cartier. A chaque « désolé » elle bouge la commissure comme il faut, juste assez pour exprimer l’affliction et dissimuler l’agacement. Elle voulait fuir ce lieu, cette maison familiale devenue théâtre d’une tragédie populaire. La mort.

Plus tard, quand tous les invités seront partis, elle cédera. Elle ne supportera plus la douleur. La solitude prendra le dessus et elle pleurera. Elle pleurera et criera, et Sue lui en voudra. Elle pleurera et fuira. L’insupportable réalité fera surface pour l’envelopper. Elle ira courir dans la forêt et s’égarera. Repensant à ce et ceux qu’elle a perdu. Elle se perdra dans ses pensées, laissant l’impression qu’il y a trop de mystère, trop de déraison dans ces pertes. Elle fouillera la forêt, pensant retrouver le moindre élément, le moindre détail la remmenant plus de vingt ans plus tôt. Le moindre objet pouvant ramener la seule personne qui pourrait la consoler dans le deuil qu’elle vivait : sa maman.

Aucun fantôme n’a pris la peine de se présenter. La pluie avait cessé, le vent lui, n’avait que souffler sur quelques vieux démons. Elle n’était pas rentrée chez elle. Calmée, les émotions sous pape, elle avait choisi de fuir, de nouveau, les lieux désormais étrangers dans lesquels elle logeait. Le bar lui semblait plus accueillant. Peut-être que c’était la rencontre inopinée qui avait réussi à calmer les battements ardents à la convaincre que ça passerait, puisqu’elle gardait le contrôle. Loin d’être une habituée des comptoir, Morningside Drive sonnait comme un refuge décent. L’alcool qu’ils y servaient, lui, était un bon pansement.  Le verre de whisky ‘on ice’ est un merveilleux anesthésiant qui fait son effet dès la première gorgée. Le temps, lui s’allonge à outrance le temps qu’elle le boive, envoyant dans son fond les idées noires qui la hantent.  Accoudée au zinc, l’entrée de la jeune femme dont tout le monde parlait sema visiblement le trouble. Son arrivée remarquée n’ébranla pas Erin, dont le regard ne fut qu’effleurer la personne. Ou peut-être que c’était le breuvage fort qui déjà faisait son chemin sinueux à travers son système. Il est l’heure de partir quand les glaçons résonnent et c’est en se levant qu’elle se retrouve immergée. Enfin, arrosée, mais pour elle, la sensation est la même alors que le tissu s’imbibe. Pendant un instant, elle regarde simplement son chemisier en se demandant si la vie ira mieux un jour. Si les jours seront comme ceux-ci, avec cette boule au fond de la gorge, qu’on essai d’inonder. Quand elle lève les yeux, elle a déjà oublié. Parce que ce n’est qu’une étoffe et qu’elle a le cœur trop plein pour s’en faire.
- C’est rien, vraiment, vous inquiétez pas
Erin croise le regard d’abord du toutou qui accompagne la jeune femme avant de réellement comprendre de qui il s’agit. L’espace d’un instant, les prunelles vissées sur le visage de la jeune femme, elle se demande si le destin ne lui fait pas un pied de nez. La médium, la chasseuse de fantômes, l’étrangère bizarre. Les qualitatifs étaient accrochés à chaque lèvre ici depuis sa venue. Il y avait quelque chose d’ironique à cette rencontre le jour même où son père disparaissait définitivement de cette terre pour y retourner.
- J’imagine que je ne vais pas dire non à un autre verre, peut-être que tous ces gens arrêteront de nous fixer comme si l’orage allait exploser….
Elle les sens, tous ces yeux posés sur elles deux. Et ils lui grignotent la nuque et elle ne veut pas être vue. Elle veut disparaitre ce soir. Pas que les gens réalise qu'elle est la fille d'un homme mort et enterré.
- Je m’appelle Erin, venez, on va trouver un coin plus discret pour vous et votre joli fantôme. Je crois que cette table est libre au fond, non ?
Qu’on ne la blâme pas, mais elle a le sentiment que sa venue n’est pas anodine, elle l’a déjà ressenti. Lawrence est le plus bel exemple de ce que la vie a à offrir d’hasardeux et destiné parfois. Cependant, il y avait un léger sentiment différent, comme une envie irrépressible de faire que cette soirée, soit différente.