La musique sort de l’enceinte, douces mélodies virevoltant dans les airs d'une façon invisible. Les paroles s'échappent doucement des lèvres et les échos sont comme des ricochets qui se cognent contre les murs. Et c’est comme s’il était seul au monde, seul dans cet univers qu’il ne connait que trop bien. Safe place qu’il s’est construit ici depuis quelques années, loin des souvenirs qui écorchent le cœur et qui ont abimé l’âme. Loin de cet endroit où la vie s’est arrêtée, où les sourires sont devenus de plus en plus rares.
Le besoin de liberté retrouvé entre ces quatre murs, comme une petite renaissance dans cette existence marquée par la douleur et la peine. Enfin, il respire un peu mieux, l'air lui manque un peu moins. Mais Hal est marqué à l'intérieur, d'une encre indélébile que lui même ne semble pas avoir remarqué. Les cicatrices sont là, mais il préfère encore les masquer.
Aujourd’hui, le double est absent, mais il sait qu’elle est quelque part ici, foulant les rues de cette ville. Le manque est là, comme gravé dans la chair, comme toujours lorsqu’elle n’est pas là. Relation fusionnelle de deux moitiés qui se sont trouvées pour avancer ensemble face aux coups de la vie. Sa sœur, son double, la seule certitude de son existence. Ce cadeau que l’univers lui a donné.
Allongé sur le canapé, les yeux rivés sur le téléphone, il l’attend. Et c’est la porte qui s’ouvre doucement quelques minutes après. Le sourire s’efface quand le visage n’est pas du tout celui qu’il attendait.
What the fuck are you doing here ?
Politesse absente, juste des mots balancés un peu trop fort pour témoigner de sa surprise. Et la surprise est de taille. Daisy et ses traits parfaits devant lui. Le cœur s’emballe doucement sans qu’il ne puisse le contrôler. Il ne comprend pas ce qu'il se passe, Hal, pourquoi elle est là et comment elle est entrée. Il se redresse, mais tout en lui crie de s’en éloigner. L’attraction est trop forte, mais il préfère l’ignorer.

the less we know
— @hal dryden

Lenteur insolente de l’aiguille capricieuse autour du cadran. Elle virevolte et caresse les minutes avec toute l’impertinence de l’ennui qui lui décroche un bâillement, à Daisy. Le shift est long, interminable, même. Quelques clients pour faire craquer l’échine courbée, pour dégourdir les coudes inlassablement pliés sur le comptoir. Elle compte les pièces, les sachets de moutarde, remet les bouteilles de ketchup en place, pique une frite ou deux. Les pieds piétinent d’un bout à l’autre de la pièce en quête d’une délivrance plus qu’attendue. Puis l’heure finit par tourner, sonne enfin le glas. L’air est frais sur ses pommettes roses, balaye l’odeur de friture qui s’accroche, jour après jour, à ses mèches blondes. L’hésitation se fait palpable sur le bitume : rentrer, ou errer jusqu'à qu’il s'endorme, le paternel. Éviter la confrontation, occulter l’haleine perfide, ou s’enliser un peu plus au cœur d’une déception qui ne fait que grandir sous les côtes. La colère gronde, mais le silence scelle les lippes. Fierté mal placée pour sauver le nom qu’ils portent tous sur les épaules. Un texto de Malia lui décroche un sourire, lui offre un plan c. Demi-tour plus qu’enthousiaste vers l’appartement que son amie partage avec son jumeau. Les pensées s’emmêlent, et le palpitant bat le tempo allegro, quand il effleure son esprit. C’est stupide, parce qu’elle le déteste, s’agace dès qu’il entre dans son champ de vision, souffle et rouspète dès qu’il lui parle. Pourtant, pourtant, il y a l’attirance, l’adrénaline d’imaginer ce qu’elle s’interdit par loyauté. Elle ouvre la porte sans prendre la peine de toquer. You can go in, Hal’s here but don’t mind him, qu’elle a dit, Malia. And so she went in. Roulement d’opales incontrôlé face au ton du brun qui l’accueille. Halston. Always so charming. Chaussures laissées dans l’entrée, elle lui lance un regard désinvolte. What I’m doing here is none of your business. Sourcils haussés, avant que les yeux ne se détournent dans un espoir vain de l’ignorer complètement.

La surprise est de taille et Hal n’était pas prêt. Voir que les cheveux bruns de Malia ont été remplacés par la blondeur incandescente de la meilleure amie. Daisy qui franchit le pas de la porte sans même s’annoncer. La clé qui tourne dans la serrure sans qu’il ne puisse l’en empêcher. Elle entre dans la pièce et pendant quelques secondes, il n’entend même plus la musique. Les battements de cœur s’alignent au rythme de la mélodie et les yeux se posent sur elle pour détailler chacun de ses traits. A l'intérieur, ça cogne et il ne saurait l'expliquer.
Mais la réalité le frappe et il se remet à jouer. À ce jeu qui reprend doucement, dont les règles n’ont jamais vraiment été fixées. À celui qui frappera le plus fort pour mieux se protéger. Il ne saurait dire quand ça a commencé. Aussi loin qu'il s'en souvienne, Daisy, il l'a toujours détesté. Jamais vraiment dans son cœur mais toujours un peu trop dans sa vie. Les souvenirs d’un passé commun se mélangent dans la tête et la rétrospective se fait. Ils se côtoient depuis des années sans jamais avoir réussi à s’apprivoiser.
That's what they all say.
Le téléphone entre les mains, c’est un flot de messages qu’il envoie à son double, des points d’interrogation en pagaille pour élucider ce mystère qu'elle lui a laissé. Plusieurs minutes qu'elle ne répond pas et il commence à s'énerver. Et Daisy est toujours là, dans l’encadrement de la porte. Le corps quitte subitement le canapé pour se tenir face à elle, un mètre quatre-vingt-quinze de dédain pour s’accrocher à sa fierté. S'approchant de l’entrée de l’appartement comme pour l’empêcher de passer.
Unless I am mistaken, this place is my house. And as far as I know, what you’re doing here in my home is my business.
Ses yeux la détaillent lentement et un sourire ironique s’installe sur les lèvres. Comme pour lui rappeler qui commande ici. Pendant quelques instants, il en oublie Malia. Comme si elle n'avait jamais existé. Parce que le jeu est bien trop intense pour arrêter d'y jouer.
I’m waiting.
Le sourire est toujours sur les lèvres et les bras se sont croisés. Game on, Daisy. Let’s play.

C’est une valse décadente sur l’autel d’une joute verbale audacieuse qui commence. Les prunelles brillent d’une malice à peine dissimulée. L’étincelle impétueuse au bord des paupières. Il lance les hostilités de ce petit jeu tacite qui s’est installé entre eux, qui l’amuse autant qu’il l’exaspère. Ils naviguent dans un océan de mauvaise foi et de petits piques lancés à la volée, et quand l’air manque à ses poumons, elle se laisse emporter par une vague de déni étouffante. Par l’ignorance de ces petits battements qui cognent péniblement dans sa cage thoracique. Le détester, c’est plus simple. C’est ce qu’elle sait faire de mieux. Un gloussement en direction du brun secoue ses épaules. Elle se fige pour l’observer, pour le détailler avec une fausse curiosité. Oh yeah ? Is this why you’re still single, because you’re so charming ? Pointe d’ironie, sourcil arqué, lippes pincées avec toute l’impertinence du monde. Elle se mue entre les meubles de l’entrée, retire sa veste, dépose son sac. L’appartement est familier, comme une seconde maison. Un havre de paix, loin de papa et les fonds de bouteilles, des remarques et du chaos. Elle s’y réfugie quand Tommy dort ailleurs, qu’il n’est pas là pour panser, pour distraire. Le dos se colle involontairement contre la porte quand il s’approche un peu trop vite, un peu trop près. Menton relevé, échine droite pour se donner un air hautain, détaché. Pour se grandir, aussi. Parce qu’il est grand, Hal, du haut de son mètre quatre vingt dix quelque chose. Il impressionne et toise de ses onyx sombres. Et Daisy, elle doit se redresser pour ne pas fondre contre le bois de la porte. Mains croisées dans son dos, contre la surface, elle hoche la tête une fois ou deux, fait mine d'acquiescer, puis de considérer sa requête. Mais ce serait trop facile de lui servir la réponse sur un plateau d’argent. Keep waiting then, soufflé la nuque tendue, les iris accrochés aux siens. Un défi de plus, accompagné d’un sourire en coin. Les palmes s’écrasent finalement contre le torse du jeune homme pour le pousser légèrement. You’re in my way, qu’elle déclare avec nonchalance, avant de se frayer un chemin, frôlant au passage son bras.

L’espace d’un instant, le visage de Malia traverse ses pensées. Et il maudit son double d’être en retard, il maudit sa moitié de le laisser là seul avec Daisy. Parce qu’elle joue et il ne peut s’empêcher de la suivre, de surenchérir à chaque instant. Comme une drogue dont il voudrait avoir continuellement les effets. Comme une addiction à quelque chose de plus grand et plus fort que lui qu'il n'arrive pas à contrôler.
Elle est là dans l’encadrement de la porte, beaucoup trop fière d’elle pour passer simplement son chemin et l’ignorer. Le jeu continue et il ne peut s’empêcher d’y goûter. Les piques fusent, comme une danse à la coordination millimétrée dont eux seuls ont le secret.
I’m just taking my time, I don’t wanna waste my incredible potential with the first lady around that doesn't deserve me.
Son double ne répond toujours pas et les doigts s’acharnent sur le clavier. Les messages fusent sans avoir de retour concret. Il range le téléphone dans la poche, se concentre sur Daisy qui n’a toujours pas bougé. Il lui fait face et les yeux se croisent. Le cœur s’emballe sans qu’il ne sache vraiment pourquoi. Il tente de se contrôler mais à l’intérieur, ça cogne un peu trop fort. C'est trop réel pour être oublié.
We can stay here all night if that’s what you want.
Un léger sourire est toujours accroché aux lèvres, un air de défi fièrement affiché. Mais Daisy ne dit pas son dernier mot, se rapproche dangereusement comme si elle savait ce que ça lui fait. Les doigts se posent délicatement sur le torse. Et à quelques centimètres près, elle pourrait presque entendre l’écho des battements de son cœur. Et elle s’éloigne Daisy, s’engouffrant dans la pièce sans rien lui demander.
And where do you think you will go ? You’re not welcome in my house.
Il la suit, Hal, pour ne pas rompre cette proximité qu’ils s’étaient laissés, pour ne pas capituler. Parce qu'elle lui échappe et qu'il ne laissera pas ça arriver.
You’re the absolute worst, you know that?
Quelques mots échappés en soufflant. Première fois qu'il n'arrive plus à se contrôler.

Les traits sont toujours déformés par un scepticisme évident face à Hal. Your incredible potential ? Lèvres un peu plus pressées pour réprimer le rire bloqué au fond de la gorge. Excuse me, I didn’t know I was talking to Prince Halston of Deer Creek. Pour accompagner l’ironie de ses mots, elle s’incline, les doigts pincés sur les pans d’une robe de bal invisible. Le rire s’échappe, cette fois, cristallin et moqueur. L’insolence dans les prunelles, alors que le corps se raidit contre le bois de la porte. La proximité lui fait perdre pied une brève seconde. Ça l’amuse, Daisy, de jeter l’huile sur le feu, de l’agacer délibérément. Et Hal, il tombe dans le piège à chaque fois, saute à pieds joints dans ce petit jeu qui s’est installé entre eux. Alors elle en joue, la blonde, se rend effrontée, arrogante, malicieuse. Son pire cauchemar, pour le simple plaisir de sa personne. Elle fait taire les palpitations d’un myocarde barricadé avec le sarcasme pendu au bout de la langue. You’ll cave before me if we stay here all night. You’re an amateur. Le regard accroché au sien pour le défier à son tour. Elle s’y perd dans ses billes sombres, Daisy, se laisse happer par la profondeur, par l’étincelle qui ne brille que quand elle l'exaspère. Elle déglutit et détourne finalement le regard, s’éloignant de la porte pour regagner la cuisine. I’m welcome because Malia said so. Oeillade au-dessus de l’épaule, elle ne s’arrête pas pour autant dans le couloir. I’m not leaving, so you can keep throwing your tantrum like the big boy you are. And stop texting her, she’s busy, she’ll be here later. Elle déambule avec aise entre les meubles, s’empare d’un verre, ouvre le frigo pour y chercher de quoi boire. Une bouteille de soda attire son attention. Le liquide pétillant lèche les parois en verre, avant de finir le long de sa trachée. Un mince sourire étire les commissures quand elle se retourne pour lui faire face. I’m just matching your energy. Le dos s’enfonce dans le rebord du plan de travail, les yeux toujours suspendus aux siens.