CW : none.
La sonnerie stridente d'un réveil qui a vu des jours meilleurs résonne entre les murs d'un appartement qui mériterait un brin de rangement. Il faut bien quelques secondes avant que ne retentisse à son tour un soupir agacé, promptement suivi par une main qui fait tomber la moitié des choses présentes sur la table de chevet, avant de trouver ce foutu réveil.
Il est trop tôt. Et Isaac a, une fois de plus, oublié d'enlever son alarme pour son jour de repos.
Le jeune homme reste quelques secondes, qui lui paraissent presque des heures, la tête enfouie dans l'oreiller. Parce que, peut-être, s'il n'ouvre pas les yeux, le sommeil l'accueillera à nouveau dans ses songes. Il tente vainement de se remémorer son rêve, pour rattraper le film en cours de route. Mais il sent bien que les brides lui échappent, le bruit du quotidien le ramenant un peu plus dans ce qu'ils appellent "la vie réelle".
Tant pis. Adieu la grasse matinée. La journée prend alors l'odeur du train-train quotidien. Il n'a plus besoin de réfléchir, c'est automatique. Le café puis la tasse dans l'évier, qui attendra la vaisselle du soir pour redevenir immaculée. Les livres retrouvés dans les quatre coins de l'appartement retrouvent la bibliothèque sans réellement trouver leur place : il devrait trier, donner ou revendre les titres qu'il ne lira pas, plus, mais le coeur n'y est pas.
Et puis, c'est le blanc. Il y a toujours ce creux, en début d'après-midi, où il ne sait plus quoi faire de lui-même. La plupart du temps, il s'évertue à trouver quelqu'un de disponible, comme si passer la moindre seconde seul était impensable. Mais il sait que tous travaillent, ont d'autres obligations. Isaac est donc là, la radio en bruit de fond, et cette page qui ne se tourne jamais.
Il ressasse ses souvenirs autant de fois qu'il relit la même phrase. C'est sans doute ce chapitre, sans qu'il n'arrive à s'expliquer pourquoi, qui provoque cet élan de mélancolie. Il repense à ses soirées étudiantes, voguant de collocations en collocations, de conversations en conversations. Il repense à ces gens, des inconnus qui le sont restés, des inconnus qui sont devenus des amis et des inconnus qu'il a délaissé, avec les années. L'un des personnages de ce livre qu'il tente tant bien que mal de finir lui rappelle cet étudiant en dernière année de Lettres, qui parlait d'une pièce qu'il avait lu un peu par hasard, avec une vigueur qu'il transmettait avec aisance. Isaac se souvient de son désir, sur le moment, de lire le texte, de le comprendre, d'y voir aussi la force qu'il a suscité chez cette personne.
Désir qui avait coulé au fond de son verre. Et ne remontant que maintenant.
C'est grâce à ce souvenir qu'il avait enfilé son blouson, calé ses mains dans ses poches et arpenté les rues jusqu'à sa librairie préférée. La clochette tinte quand il ouvre la porte, son bonjour chaleureux résonne entre les rayons, dans lesquels il va immédiatement se perdre.
En chemin vers le rayon souhaité, il ne peut s'empêcher d'en sélectionner l'un ou l'autre ayant attiré son regard. Il trouvera de la place chez lui plus tard : ce n'est pas un problème pour l'Isaac du présent.
Et quand enfin il localise le rayon, ses yeux furètent et trouvent presque immédiatement le titre souhaité. Et quand ses doigts s'élèvent vers le Graal, le bras percute un autre bras, dont il est sûr de ne pas être le propriétaire. Isaac tourne la tête, adresse un léger sourire gêné et un petit
"Oops, pardon". La trajectoire est déviée, un autre livre est saisi. Il se décale un peu, reste planté non loin, tente de lire le résumé mais le sens des mots lui échappe : il jette trop souvent des coups d'oeil vers l'autre homme, tente de voir si c'est le même bouquin qui l'intéresse ou si ce dernier restera en rayon, n'attendant plus que le repassage du timide.