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La voiture s’arrêta sur le parking dans un crissement de pneus sur le gravier et Elijah sortit en soupirant de contentement. Après plusieurs heures passées au volant, c’était un plaisir d'être enfin arrivés. Autour d’eux la forêt s’élevait, cathédrale majestueuse sur fond de ciel menaçant. Pas un énorme changement de paysage pour eux qui connaissaient bien Deer Creek et ses pins vénérables. Il avait grandi à l’ombre de la forêt en ayant toujours eu le sentiment de n’être qu’un invité en ces lieux. A Silver Falls, la sensation était un peu différente. Était-ce la réputation du parc national et de ses mythiques cascades qui lui ôtait une part de mystère? A voir les sentiers qui s’enfonçaient sous le couvert des arbres, on pouvait en douter un peu.

Il avait fait semblant de garder la surprise tout le long qu’avait duré le trajet, leur road-trip improvisé s’étirant sur des heures de route sans qu’il ne vende la mèche sur leur destination. Mais Dottie n’était pas moitié aussi naïve que ça et les panneaux ne manquaient pas depuis l’entrée du parc. Ils n’avaient pas encore vraiment eu l’occasion de se retrouver vraiment entre eux, pris qu’ils étaient entre leurs vies respectives. On avait vite fait de perdre le fil. Rien n'avait vraiment changé et il gardait le sentiment qu’ils se laissaient plus ou moins porter par la nouveauté sans chercher à brusquer les choses. Si au début il avait craint que ça modifie quelque chose au lien qui les unissait, il se rendait compte qu’ils se retrouvaient embarqués dans une suite logique qui avait tout de l’évidence.

Il eut l’air de faire un tour, comme pour admirer le paysage avant de lui désigner l’endroit.

“La surprise est dévoilée maintenant, bienvenue à Silver Falls?”

Rien que des bois à des kilomètres à la ronde et les cascades qui avaient rendu l’endroit célèbre. Le parc était tellement connu que les gens venaient de loin pour le visiter. De quoi ôter une pointe du mysticisme qu’il avait toujours connu dans sa ville natale. Non pas que l’endroit ne soit pas propice au début d’une énième légende urbaine. Silence de tombeau lorsque vous cheminiez entre les arbres, rien d’autre que le calme de la nature qui donnait l’impression de vous surveiller. Vous n’étiez qu’un invité dans le coin après tout. Se lancer c’était presque passer dans un autre monde. Clignez des yeux un peu trop longtemps et vous disparaissiez pour toujours.

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« Je ne t’ai jamais dit que ces bois m’ont toujours foutu les jetons !? » Un peu gênée, Dorothy s’étira comme un chat avant de quitter la place passager de la voiture et de s’approcher d’Elijah, une fois en face de lui, elle regarda l’immense forêt qui l’entourait et elle  laissa s’échapper un petit rire. Les mains posées le torse musclé du garde côte, un petit sourire aux lèvres et ses iris brunes plongées dans les grands yeux bleus de son interlocuteur elle fit en sorte de ne pas le mettre mal à l’aise : « Mais avec toi je ne crains rien, je me sens invincible, je pourrais presque aller chercher des noises à Mike Tyson… »  Elle laissa s’échapper un nouveau rire avant de continuer : « Vraiment… ce sera une façon pour moi de redécouvrir ce parc et de l'appréhender d’une autre manière ! Merci ! » Et pour être sûre de ne laisser aucun malaise s’installer, la brunette se mit une nouvelle fois sur la pointe des pieds pour embrasser longuement son charmant chauffeur.  Dottie s’était engagée avec Eli sans vraiment savoir où tout cela allait la mener, mais au fond d’elle, cette relation lui semblait logique, elle paraissait s’inscrire dans le sens de l’Histoire et elle n’avait donc aucune envie de bazarder ce bel amour naissant.

Après quelques secondes l’institutrice fila à l’arrière de la voiture pour récupérer ses affaires ou plutôt le sac de sport dans lequel elle avait mis un maillot de bain, une jolie robe, des chaussures de marche, un jogging, un pull, quelques t-shirts et sous-vêtements, une brosse à dent et de quoi se refaire une beauté. En pensant au contenu de ses bagages et en s’approchant du Wright elle ne put s'empêcher de rire à nouveau : « Par contre je n’ai rien pour dormir à la belle étoile tu sais ? Je n’avais vraiment pas pensé à ça… j’espère que tu as un duvet pour moi… » Puis elle s’arrêta quelques secondes et affiche cet air malicieux qui caractérisait la petite chipie qu’elle pouvait peut-être :  « À moins que tu ai prévu autre chose ? Mais si c’est ce que je pense je vais te tuer d’avoir dépensé ton argent sans me prévenir ! » L’américano-britannique se souvenait en effet que Silver Fall était rempli de Lodge et de charmants petits gîtes, toujours prompts à accueillir les amoureux… «  Enfin je suis vraiment en train de passer pour une rabat-joie là je crois… excuse moi… » Des excuses qu’elle accompagna d’un énième baiser. Mais comme une adolescente elle commençait à s’habituer à cette agréable sensation. Après quelques secondes elle commença à suivre Elijah et tout en avançant au milieu des pins, elle lui demanda : « Tu en as parlé à Isaac ? … Te connaissant tu lui en a parlé ou alors il a vu qu’il y avait quelque chose… Il en pense quoi ? » Dorothy n’avait aucun problème avec le fait que le marin parle de la nuit qu’il avait pu passer avec elle, la trentenaire avait d’ailleurs une immense sympathie pour Isaac, elle voulait juste connaître l’avis de ce dernier sur leur aventure…

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"Il y a pas mal de sentiers dans le coin qui sont assez réputés, on dit que la vue vaut le coup.”

Il éclata de rire et l’espace de quelques secondes fugaces, il se revit, enfant. Dorothy n’avait jamais eu besoin de personne pour se défendre et elle n’avait jamais été la dernière lorsqu’il s’agissait de se lancer tête baissée dans une nouvelle aventure. Deer Creek avait constitué un terrain de jeu idéal et leur imagination de mômes un terreau fertile à l’élaboration de quantités de bêtises dont il portait aujourd’hui le souvenir comme des trophées.

“ Rien ne te résiste. Et les monstres de Silver Falls n’ont rien à voir avec ceux de Deer Creek.”

C’était une plaisanterie qui n’était jamais qu’à moitié sérieuse. Une boutade apprivoisée par l’habitude de qui a toujours connu la ville de son enfance comme un lieu dont il fallait vaguement se méfier, ou à défaut respecter.  

“Maintenant que tu en parles, une nuit à la belle étoile ne serait pas une si mauvaise idée! Mais j’ai pensé à autre chose!”

On avait aménagé une passerelle de bois qui serpentait entre les troncs, se perdant dans la végétation. La lumière du jour finirait bien par décliner et les lampes au sol s'allumeraient alors pour repousser les ténèbres et habiller la forêt d’une aura différente. Mais pour le moment, le lodge niché entre les arbres gardait son apparence de placide maison de vacances pour promeneur en quête d’une retraite loin de la ville. Le bois du porche grinça discrètement sous son poids alors qu’il se retournait pour jeter un dernier regard à la végétation silencieuse.

”Ca me fait juste plaisir, ne t’en fais pas pour ça.”

Le baiser qu’ils échangèrent scella ses dernières inquiétudes et il la délesta de son sac pour entrer. Une grande verrière ouvrait sur la végétation et l’intérieur baignait d’une douceur feutrée habillée par les tons chauds de l’après-midi.

Il marqua une pause à sa question. Isaac l’avait observé toute la semaine avec l’air inquisiteur d’un scientifique analysant une formule chimique dont le résultat aurait changé. Il savait parfaitement que la fragile harmonie qui régnait dans son petit microcosme venait d’évoluer légèrement. Un changement infime dont son frère n’arrivait pas encore à déterminer l’origine.

”Tu le connais, il a repéré quelque chose sans vraiment savoir quoi. Je me suis un peu amusé à le laisser mariner sans lui dire qui.”

Mais il finirait par en parler. Son frère et lui étaient trop proches pour passer ça sous silence. Mais il appréciait de retrouver ses petits secrets après une période où le moindre de ses changements d’humeur avait été observé à la loupe. Il savait bien quels événements les avaient liés à ce point, au diapason l’un de l'autre. Cette alchimie allait devoir retrouver son équilibre un jour où l’autre. Il planta un baiser sur son front comme pour conclure. Dorothy était-elle inquiète?

”Je vais te faire une révélation. Il attend probablement ça depuis une éternité. Il sera heureux.”

Discrètement, depuis des années, il n’avait jamais arrêté de le sonder à coup de petits sous-entendus et de questions supposément anodines. Isaac aimait beaucoup Dottie, mais il allait attendre encore un peu avant de satisfaire sa curiosité maladive.